Mauvaise vie


Les roturiers, à tire-d’ailes
S’enfuient des nuits à tire-laines,
Troussent de pauvres Madeleine,
Et dorment sur leur bas de laine.

Ils ne connaissent des longues soirées
Qu’les racontards des épiciers,
Et quelques contes de marché,
Et deux ou trois chants de curé.


Les hommes de la roture fantasment leur Madeleine.

Les belles histoires de gargotes
Venues du d’sous des redingotes
Rapportées par de vieilles glottes
Et douteuses, et sentant la plotte,

Ca n’est pas pour les roturiers,
Comme ces filles des bas quartiers !
Ils n’ont pas l’sou pour les troquets,
Ils n’ont pas d’sous à dépenser.

Les hommes de la roture fantasment leur Madeleine

Les hommes dit “bons” de la roture,
Vêtiraient bien d’une chape de laine
Ces femmes qui partout se parjurent:
“A chaque jour suffit sa peine.”

Ils n’investissent pas notre quête
Et n’entendent pas notre rire
Car jamais pour une Lorette,
Ils ne casseraient leur tirelire.

Les hommes de la roture voudraient aimer leur Madeleine

Et ils nous voient déambuler
En bras de chemise, débraillés,
Une semelle sur deux clouée,
A la recherche d’un p’tit dernier.

Nous tentons d’accrocher un ut
Grattant comme un sourd notre luth
Défiant la moindre barbe hirsute
De nous mettre à terre à la lutte.

Les hommes de la roture voudraient aimer leur Madeleine

Les hommes de la roture
Fantasment leur madeleine.
Et rêvant à la roulure,
Dorment sur leur bas de laines.

Les chats du cimetière Saint-Vincent


Les chats du cimetière Saint-Vincent,
Ils m'échappaient de plus en plus souvent
Du haut de ma fenêtre je les comptais,
Mais ils n'étaient jamais au complet.

Les chats du cimetière Saint-Vincent
On les voyait en hiver, se défilant.
Mais alors quand le printemps revenait
Plein d'espoirs, sur les tombes, ils bourgeonnaient.

Les chats du cimetière Saint-Vincent
Ils n'étaient pas mordus des monuments
Ils aimaient, c'n'était pas original,
S'allonger au soleil, quoi de plus normal ?

Les chats du cimetière Saint-Vincent

Avaient la première place aux enterrements,
Et rythmaient de leur queue les processions
Pour distraire le royaume de Pluton.


Les chats du cimetière Saint-Vincent
Sans faux semblant, se moquaient des vivants
Qui s'efforçaient, portant le diable en terre,
De paraître aussi sombre que l'hiver.

Les chats du cimetière Saint-Vincent,
Ne savaient rien des nombreux tourments.
Ils m'auraient sinon poussé de mon balcon
Pour succéder aux vieilles concessions.

Les chats du cimetière Saint-Vincent
J'les regardais souvent se reposant
Comme eux devaient penser accompagner
Toutes celles et ceux qui y étaient enterrés

Les chats du cimetière Saint-Vincent,
Avaient leur pierre tombale préférée
C'était parfois cell(e) de Marcel carné
Et parfois celle de Marcel Aymé

Les chats du cimetière Saint-Vincent
Du paradis, n'étaient pas les enfants,
Du Passe-muraille, n'avaient la qualité,
Ils veillaient seulement notre éternité.

Les chats du cimetière Saint-Vincent,
Ils m'échappaient de plus en plus souvent
Du haut de ma fenêtre je les comptais,
Mais ils n'étaient jamais au complet.



En musique ici

Place du calvaire



Elle avait pignon sur rue
Aux escaliers de la bu-
tte Montmartre.

Elle débarquait à Paris,
Tout droit de la Rhénanie,

De ses mains, elle était bonne,
Elle redressait des colonnes
A (de) Montmartre.

Lorsqu’elle vit les escaliers,
D’la butte, elle dit : “C’est pas l’pied ! ”


Elle comprit qu’les jolis dos
Laisseraient place aux pieds bots
De Montmartre.


On n’y comptait, qu’en effet,
Pour descendre, ou pour monter,


Des marches, et des marches et des
marches, il fallait emprunter !
Ah Montmartre...

Jongleurs, peintres et chanteurs,
l’arpentaient aux mêmes heures.

Le soir, ivres, il arrivait
Qu’ils les dévalass’ (ent) d’un trait
A Montmartre.

En bas, ils n’avaient souvent
Plus qu’un pied à mett’ devant.

L’un d’eux, seul, déclamait faux
Des chants de la butte, en haut
De Montmartre.

Ce jeune homme, un soir, tomba
Du calvaire, Patatra !


Triste, boitant des deux pieds,
Il ne pouvait plus grimper
La butte Montmartre.

Lorsqu’elle vit sa pauvre tête
Elle se prit pour Marlaguette.

On vit rougir à la lune,
Le coeur de l’un comm’ de l’une,
A Montmartre.

Cett’ nuit, n’eut rien à envier,
A l’idylle, rue Plumet.

Une robe passa pour
Ce loup perdu sans amour,
A Montmartre

L’écho d’un chant retentit
Chez la jeun’ fille , qui sourit,

Quand dans la brume, un matin
Le remit sur les chemins
De Montmartre.

Elle s’en voulut de laisser
S’envoler l’oiseau blessé.

Elle ne déchanta pas, sûr ! ,
Quand elle le vit chanter sur
La butte Montmartre.

Certes, il butait sur les pieds
Des chansons – fier, sur deux pieds ! –


Mais qu’elles étaient dev’nues belles !
Maint'nant qu'il chantait pour elle
A Montmartre !

En les voyant à côté,
Je me disais : “Marions les ! “

… mais à Montmartre,

Seule, on n’y fait que passer,
Seul, on n’y fait que chanter.


Ah... Montmartre...



Le jardinier


Il n'a pas l’uniforme des gardiens,
Il ne siffle pas contre les gamins,
Parfois, voudrait il s'occuper plus tard,
Du bois d'Vincennes ou du bois de Clamart ?
Son allure débonnaire, qu'elle donne envie,
De redonner du vert à notre vie.

refrain :

A voir marcher ce jardinier
Dans son square toute la journée,
Tout le monde le préfèrerait
Aux pompiers de la rue Violet. 


Même en hiver, il n'est jamais faché,
De bêcher la terre pour la replanter.
A cette heure ou tout semble prendre fin,
Il marche encore, cultivant son jardin,
Et n'a pas besoin de rester planter
Sous un bel orme pour délibérer.


refrain :

A voir marcher ce jardinier
Dans son square toute la journée,
Tout le monde le préfèrerait
Aux pompiers de la rue Violet. 


Il n'est pas misanthrope pour autant
Il va répondre aux vieux naturell'ment,
Sur la saison et le temps qu'il va faire,
Si elle est là, si c'est bon pour la terre,
Si l'on verra repousser cette année
Les aubriet' (es) même si tout à gelé.


refrain :

A voir marcher ce jardinier
Dans son square toute la journée,
Tout le monde le préfèrerait
Aux pompiers de la rue Violet. 


A l'automne, à l'hiver, en ces saisons,
Il continue de veiller les bourgeons,
Et somm(e) les fleurs d'en faire tout autant.
A le voir, je vous jure, c'en est charmant !
A force, on en vient même à projeter,
De tout lâcher pour être jardinier.


refrain :

A voir marcher ce jardinier
Dans son square toute la journée,
Tout le monde le préfèrerait
Aux pompiers de la rue Violet. 


Souvent, les filles choisissent les pompier,
Pour être sûres de ne pas se mouiller.
Moi, quitte à rester seul sur notre Terre,
Devenir jardinier f’rait bien l'affaire.
Mais je n'aime pas couper les jeunes pousses
Alors je reste à me tourner les pouces.


Sur l'air du refrain

A moi, tout l'monde préfèrerait
Le jardinier du square violet
Pourtant j'aspire à végéter
Un p'tit peu comme ce jardinier.


Désentiflage

J’sais b’en qu’c’est moi qu’est parti
Quand qu’c’était nous, qu’c’était joli !
Mais v'là, qu' elle aussi elle trimarde,
Et qu’p’tit à p’tit ça r’vient je m’barbe
Qu’y qu’fasse beau ou qu’y ait du crachin,
J’continue d’pioncer tout l’matin.

Sauf que voilà qu’c’est p’us pareil
Y a ben l’son d’cloches à mon réveil,
Y’a ben que’qu’ oiseaux à ma f’nêtre,
Mais pour qui qu’j’va poster mes lettres ?
Pa’c’que si c’t’un gars qu’ouvr’ mes poèmes
L’foutra t’elle dans la sorgue de même ?

Faut tout d’même pas êt’e à la r’dresse
Pour piger qu’y a qu’ma paresse
Qu’a chambarder not’ entiflage
Et non d’grand’s idées d’bas étages.
Que’qu’ coups d’pioche auraient p’t’et’ suffit
A garder ma gosse dans ma vie.

Mais voilà qu’y en a qu’y r’viennent
Bien pensant dans leur gross’ bedaine,
A r’sortir tout un tas d’adages
Et d’idées tout’s faites su’ l’mariage
Comme “Qui se marie par amour
A une bonn’ nuit, deux mauvais jours. “

Moi, sans parler comme un livre,
J’connais le flambeau du bon vivre
J’sais qu’prendr’ un’ vieill’ carne qui caquette
P’is etr’ un rupin plein d’galettes
Vaut pas, quitte à êtr’ à la cloche,
Aimer sa poule, c’en est moins moche.

On sait tous ça de not’ vivant
Mais v’là la vie dorénavant
Qui bat son plein de vagues à l’âme,
On sent qu’un jour not’ joli’ dame,
Cette jeune fille, soeur, femme, ondine,
S’ra d’un autre gueux, la p’tite copine.

Flânerie


Ensoleillée.
Dés l'aube j'allais
Goûter la vie
Que je m'étais faite,
Accompagnée,
D'alors mes amis,
J'allais rieuse
De jour comm' de fêtes.

Sans un galant,
Je savais danser.
Mais sans trouvère
C'était impensable,
Et gambadant,
Pourtant loin des mers,
J'allais paver
Mes châteaux de sable.

Et, malgré moi,
Battaient le pavé
Dans la mesure,
Mes claquettes brunes,
Je buvais, là,
Des vins de masure
Aussi nommés :
Galons d'eau de lune.



Ensommeillée.
Les matins d’hiver
M’accompagnaient,
Follement sages,
Et parsemés
De mes bonds de geais,
Dans un tonnerre
Faisant bon ménage.

Les croisés (texte de Lénaïc Vilain)



Au cours du deuxième millénaire
Petites gens et grands seigneurs
Allèr(ent) les armes à la main
Récupérer un patelin saint

Ce n’était pas par vocation
Et pas toujours par dévotion
Mais pour le frisson, pour la gloire
Qu’ils quittèrent châteaux ou dortoirs

Refrain :


Partis de douce France
Et passant par Byzance
Les Croisés croisèrent
Maintes guerres et maints déserts


Lors à pieds à dos de cheval
Répondant à l’appel papal
Ils prirent le chemin du Levant
Pour en chasser les mécréants


Jusqu’à la sainte Jérusalem
Et ses promesses de carême
Batailles famines et maladies
La route fut longue et assassine

Partis de douce France
Et passant par Byzance
Les Croisés croisèrent
Maintes guerres et maints déserts


Quand toute la Syrie fut soumise
Les hommes posèrent leurs valises
Pour profiter de leur Salut
Pour jouir enfin du Saint-sépulcre

Petites gens et grands seigneurs
Purent mettre un terme à leur labeur
Ils avaient conquis la Terre sainte (8=2+6)
Ils avaient atteint leur Olympe

Partis de douce France
Et passant par Byzance
Les Croisés croisèrent
Maintes guerres et maints déserts


Mais un territoire de gagné
C’est un endroit à conserver
Pour certains à récupérer
C’la s’annonçait bien compliqué

Au commencement de l’an mille cent
L’on assiégeait les assiégeants
Les rôles étaient intervertis
C’était beaucoup moins drôle ainsi


Partis de douce France
Et passant par Byzance
Les Croisés croisèrent
Maintes guerres et maints déserts


Petites gens et grands seigneurs
Regrettaient leurs anciennes demeures
Trouvaient amer ce chemin
Un peu trop tard, un peu trop loin

Quand on va chercher les étoiles
Il faut savoir tenir sa voile
Au bon moment calmer la danse
S’arrêter juste avant Byzance.


Lénaïc Vilain


Musique Basile Vinet : https://soundcloud.com/marin-liber/les-crois-s-remasteris-e

Les jeudis


Quand tous les autres avaient droit 

A « mets l'couvert! et tiens droit! »
« Te re-sers pas, c'est impoli ! »
« Et débarrasse, tu s'ras gentil! »
« Écoute quand te dit ta grand-mère,
Qu'on t'éduque chez les militaires »
et « si t'as pas d'emploi mon fils,
Passe donc l'examen de police ! »

Et bien nous, dimanche à midi,
Dormions ( douillet ! ) dans notre lit.
Notre habitude était athée
Ptet' un souvenir d'écolier.
Bien plus qu'un simple rendez-vous,
Tout le monde savait que chez nous
Tacitement, tous les jeudis,
On s'retrouvait tous à midi.

Refrain :

Pas besoin d'être endimanché
Pour déjeuner à place violet
En pleine forme ou endormis
On se rendait chez la grand-mère
Et chaque fois, pendant l'dessert
On s'allongeait sur son tapis ! 



Trop tard pour décommander,
Ils m'attendaient pour commencer
Bien qu'au lever je n'euss' pas faim,
Fallait faire plaisir à chacun.
J'quittais mes roses rêveries
Au moins pour une heure et demie
Mais une fois le repas fini,
Par terre, je finissais ma nuit.

À peine arrivé dans l'entrée
On pouvait les entendre crier :
La mère, la tante ou bien mon frère
Mais au grand jamais la grand-mère
La table avait ses imprévus
On y comptait souvent les brus
C'n'était pas extraordinaire
D'entendre les jeudis cet air.

Refrain

Certains diront que de leur temps
On se conduisait autrement,
On n'se serait jamais permis
de s'écrouler sur un tapis.
« T'es mal fagoté ! » disait t-elle
« De quoi t'as l'air dans cette tenue ?! »
« Ça fait mauvais genre ces bretelles ! »
« Tu sors donc comme ça dans la rue ?! »

Ces remarques, c'n'était pas méchant,
On écoutait en souriant.
Ces attentions faisaient parti
Aussi du jeu dit du jeudi .
De toutes manières, tout l'monde avait
Que'qu' chose à « redire le jeudi »
Mon frère et moi on s'en foutait
Puisque l'dessert, c'était l'tapis !

Refrain

En emportant ses yeux bleuis,
Un triste jour, elle est allée
Grommeler loin de nos cris
Laissant un rendez-vous manqué.
Ça devait sûrement la barber
Ce trente-sixième dîner où l'on
Criait, elle a du préférer
S'asseoir et ronfler pour de bon.

Depuis rien n'a vraiment changé
On n's'est pas pris à travailler
Faut dire qu'on avait prit le pli
À force de s'endormir ici.
On ne manque pas un seul jeudi
C'est un peu comme un jour férié
Une dérobade pour un café
Un faux-fuyant pour un tapis


Envoi

Mais maintenant quand on est fatigué,
Qu'on tente de s'écrouler sur un tapis
Il y a toujours quelqu'un pour crier
Tu te crois où ? On n'est pas chez mamie!

... ... ...


Vivement la semaine des quatr' jeudis !


Imagerie


On a changé l’histoire,
Echangé nos états
D’âme, on a étanché
Nos larmes aux tranchées,

Dans la panse des femmes,
Laissé des orphelins,
Au bureau des notaires,
Paraphé nos décès.

Au marché; dérangé
Des lutins, des légumes
Frais, ta poire, ta plume,
Tes racin's dépassées.

Quand au calme, ils fumaient,
Les conteurs le savaient.
C’était un enlèvement,
une rafle d’enfants.

Animaux de gâteaux,
Dinosaures de Pompon
A l’Orsay, nous savions
Alors déjà en rire.

Des femmes de cartons,
Des hommes de ferraille
Automates d’écorces.
Et brûlent les forets !

Place pour les plaines,
Aux troupeaux de fumée.
Sur la terre morcelée
Que nous vous laisserons.

Alors les cris de femmes
Alarment les rossignols
Ils ne chanteront plus.
Même plus au réveil.

Un opéra m’a pris
Tout autour de minuit
Et j’ai pu retrouver
Tous mes vieux ennemis

Assis, Quelle drôle d’heure
Quant à compter mes ans
Mais si j’en crois mon heur,
Jamais je n’s’rai parent.

Un coup d’épée d’ans l’eau
Une balle perdu
Et pieds poings levés
L’envie ne suffit plus.

On a changé l’histoire
Echangé nos tranchées
Echappé nos états
Aux frontières de papier.

2010